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  • il y a 2 ans

Laboratoires P4 : Protection ou Péril ?

L’émergence du SARS-CoV-2 est-elle le résultat d’une sélection naturelle ou de manipulations génétiques au sein d’un laboratoire P4 ? Le seul fait de poser la question du rôle possible du laboratoire P4 de Wuhan (seul laboratoire P4 chinois) dans l’émergence du SARS-CoV-2 déclenchait, il y a encore quelques jours, une riposte immédiate contre "les révisionnistes" des informations officielles et autorisées, il s’agissait tout simplement de "fake news" répandues par des cercles conspirationnistes. Faut-il pour autant éluder la question ? Voici quelques éléments de réponse dont le moindre n’est pas la déclaration récente du Professeur Luc Montagnier signalant que le génome du SARS-CoV-2 contiendrait des fragments du génome du VIH et qu’il pourrait s’agir d’un virus recombinant créé pour la recherche d’un vaccin contre le VIH. Les laboratoires de virologie moléculaire disposent d’outils moléculaires, notamment le fameux CRISPR-Cas9, permettant de modifier le génome viral, de retirer certaines séquences ou d’en insérer de nouvelles. Ces outils permettent de créer des hybridations et des recombinaisons aboutissant à de véritables chimères virales. Le but de ces travaux est de tester des vaccins et des médicaments antiviraux, ou d’anticiper des mutations qui pourraient survenir dans la nature. Mais ces manipulations peuvent également créer des virus recombinants, beaucoup plus contagieux et virulents que les virus naturels. Ces chimères virales sont parfois capables de neutraliser le système immunitaire ou de déclencher des réactions immunitaires explosives. Les laboratoires P4 (« Pathogène classe 4 ») ou BSL4 (« Biosafety Level 4 ») sont des laboratoires de haute sécurité autorisés à manipuler des micro-organismes hautement pathogènes (Catégorie A), tels que les virus de la variole et des fièvres hémorragiques. Les laboratoires BSL3+ sont également autorisés à manipuler des virus dangereux comme le virus de la grippe espagnole. Il existe une trentaine de laboratoires P4 dans le monde, certains étant rattachés au ministère de la défense, notamment l’USAMRIID (U.S Army Medical Research Institute of Infectious Disesases) de Fort Detrick (Maryland, USA), l’institut Vektor de Koltsovo (Russie) et le P4 français de la Direction Générale de l’Armement (DGA) situé à Vert-le-Petit dans l’Essonne. Ces derniers effectuent des recherches dites duales (civiles et militaires) présentées comme uniquement défensives, notamment la recherche vaccinale. Il est avéré qu’ils mènent également des recherches sur la militarisation d’agents pathogènes (1). Au cours de l’automne 2001, des courriers contaminés par des spores d’anthrax ont été diffusés par le biais du système postal américain sur la côte est des Etats-Unis. Il est établi que les spores d’anthrax provenaient de la souche "Ames", militarisée et développée par l’USAMRIID. Concernant les manipulations de virus pathogènes, trois étapes à haut risque ont été franchies ces 20 dernières années dans des laboratoires de virologie moléculaire :  1. En 2001, l’université de Canberra publia dans le Journal of Virology les résultats de travaux portant sur le virus de la variole murine (mousepox), virus inoffensif pour l’homme (2). Ces travaux visaient à stériliser les femelles de rongeurs afin de protéger les cultures australiennes. L’équipe de Ronald Jackson et Ian Ramshaw introduisit le gène codant pour l’interleukine-4 dans le mousepox, l’interleukine-4 ayant la propriété de stériliser les femelles de souris et de rats en entravant le développement embryonnaire précoce (3). Dans la nature, le virus est transmis par contact oro-nasal, quand les souris se frottent le museau à l’occasion d’une rencontre. Mais l’interleukine-4 a également la propriété d’inhiber le système immunitaire. Il se trouve que le virus modifié a tué en quelques jours toutes les souches de souris infectées, y compris celles qui résistaient naturellement au virus de la variole murine. Qui plus est, le vaccin contre la variole des rongeurs était inefficace contre ce nouveau virus. S’il s’était échappé du laboratoire ce nouveau virus aurait pu exterminer, sur l’ensemble du territoire australien, diverses espèces de rongeurs y compris le lapin. L’insertion dans le génome d’un mousepox du gène codant pour l’interleukine-4 a donc provoqué l’apparition de souches hypervirulentes capables de neutraliser le système immunitaire de rongeurs et de provoquer un taux de létalité voisin de 100% (4). A l’issue de cette expérience, le risque d’utilisation d’un tel virus par des bioterroristes fut aussitôt évoqué. Ronald Jackson déclara : « On peut à coup sûr imaginer que si un fou mettait de l’interleukine-4 humaine dans le virus de la variole humaine, virus proche de la variole des souris, il en accroîtrait la létalité de façon très importante. Quand on voit les conséquences de ce qui est arrivé avec les souris, je ne voudrais pas être celui qui ferait cette expérience ».  2. En 2003, le Professeur Mark Buller (Département de biologie moléculaire et d’immunologie, Université Saint-Louis, Missouri) a repris les expériences australiennes de 2001 sur les poxvirus (5). Le projet, financé par le National Institute of Allergy and Infectious Diseases, visait à améliorer les défenses contre le virus de la variole humaine. Les travaux ont été effectués dans un laboratoire BSL3 sur le virus mousepox. Mark Buller est parvenu à créer un virus encore plus dangereux que la construction australienne en modifiant le site d’insertion du gène de l’interleukine-4 dans le génome du mousepox et en utilisant différents promoteurs. Le nouveau virus se révéla capable de tuer la quasi-totalité des souris infectées, même lorsqu’elles étaient préalablement vaccinées contre la variole murine ou traitées par un antiviral, le ciclofovir. Franchissant une étape supplémentaire, l’équipe de Mark Buller a également inséré le gène de l’interleukine-4 dans le virus de la forme bovine de la variole (cowpox), susceptible d’infecter les humains. Ces travaux n’ont pas été publiés dans une revue scientifique mais le New York Times les a révélés, précisant que le Professeur Mark Buller travaillait en étroite collaboration avec les chercheurs de l’USAMRIID, le laboratoire P4 de l’armée américaine (6,7).  3. En 2012 le Professeur Ron Fouchier (Département de virologie, Centre medical Erasmus, Rotterdam, Pays-Bas) et le Pr. Yoshihiro Kawaoka (Département de virologie, Wisconsin, USA) ont réussi à accroître la contagiosité et la virulence des virus Influenza A/H5N1 et H1N1 responsables d’épidémies de grippe (8,9,10). Ces travaux ont suscité de vives polémiques sur les risques liés à de telles manipulations et sur l’opportunité de les publier. Rappelons que Paul Berg (Prix Nobel de chimie) proposa dans les années 1970 un moratoire international sur les manipulations génétiques des micro-organismes afin de pouvoir « en évaluer les dangers potentiels » et présida en 1975 la conférence d’Asilomar visant à définir les règles de sécurité en matière de génie génétique et les moyens de surveillance des laboratoires de biotechnologie. La conférence d’Asilomar décréta un moratoire sur les techniques de génie génétique qui fut rapidement levé. Dans les années 2000, un rapport sur le risque bioterroriste du professeur Didier Raoult a mis en évidence que de nombreux laboratoires français autres que P4 n’étaient pas en conformité avec la loi pour manipuler des organismes pathogènes. L’astrophysicien britannique Sir Martin Rees, surnommé le "prophète de l’apocalypse", a fait le pari dans les années 2000 que d’ici à 2020 une "bio-erreur" ou une "bio-terreur" aurait tué un million de personnes ! Le pari de la "bio-erreur" est-il gagné ?

Références

(1) Barriot P. Etude EPMES N° 7267 « L’arme biologique : arme de dissuasion, de défense, ou de terrorisme » pour le compte du Ministère de la Défense (DGA), 2008. (2) Jackson R.J., et al. Expression of mouse interleukin-4 by a recombinant ectromelia virus suppresses cytolytic lymphocyte responses and overcomes genetic resistance to mousepox. Journal of Virology, 2001, 75: 1205-1210. (3) Jackson R.J., et al. Infertility in mice induced by a recombinant ectromelia virus expressing mouse zona pellucida glycoprotein. Biology of Reproduction, 1998, 58, pp. 152-159. (4) Novak R. Disaster in the making. An engineered mouse virus leaves us one step away from the ultimate bioweapon. New Scientist, 2001, January 13, 4-5. (5) Buller R.M. Mousepox : A Small Animal Model for Biodefense Research. Applied Biosafety, 2004, March 1. (6) Broad W.J. Bioterror Researchers Build a More Lethal Mousepox. The New York Times, November 1, 2003. (7) Mackenzie D. US Develops Lethal New Viruses. New Scientist, 2003, October 29. (8) Herfst S., et al. Airborne Transmission of Influenza A/H5N1 Virus Between Ferrets. Science, 2012, 336 : 1534-1541. (9) Russell C.A., et al. The Potential for Respiratory Droplet-Transmissible A/H5N1 Influenza Virus to Evolve in a Mammalian Host. Science, 2012, 336 : 1541-1547. (10) Imai M., et al. Experimental adaptation of an influenza H5HA confers respiratory droplet transmission to a reassortant H5HA/H1N1 virus in ferrets. Nature, 2012, 486 : 420-428.

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